Find a JobS !
Une des première et une des seules critiques que j’ai pu lire sur le film « Jobs », qui raconte une partie de la vie du créateur d’Apple, commence par une interrogation : « Dans quel état d’esprit aller voir ce film ? ». C'est exactement cette question que je me pose sur Jobs lui-même et donc sur le film qui lui est consacré !
Soyons clair, ce film existe parce que Steve est mort il y a deux ans. Ceci démontre que la motivation première d’Hollywood est purement mercantile, mais cela on le savait ! Ensuite, ce film ne ressemble pas de prime abord à un éloge du génial inventeur, comme il est d’usage de considérer Jobs. Ca, c’est plutôt une bonne nouvelle !
L’histoire de Steve Jobs c’est l’histoire de l’Amérique ou plutôt celle dont l’Amérique rêve. L'histoire d'un type parti de rien qui arrive à force de travail et de conviction à devenir riche. Ce genre de récit a toujours été pour les américains l’archétype de la réussite, le but à attendre ou, plus simplement, le modèle à suivre. Partir de rien pour arriver à tout est effectivement ce qui arrive à Jobs. La grille de lecture de ce film est donc baisée dès le départ car film ne peut être critiqué puisque cela reviendrait à remettre en cause le principe de la méritocratie américaine. Ensuite, cette réussite est personnalisée par Steve Jobs, qui il est mort. La critique deviend donc impossible et même indécente. Pour couronner le tout, beaucoup de monde utilise les produits à la pomme et ceux-ci bénéficient d’une aura et d’un standing incroyable et finalement sans rapport avec le produit lui-même. In fine, critiquer l’homme à la pomme reviendrait à se critiquer soi même ce qui pourrait être dangereux pour la santé.
Je prends donc icic un risque en disant ce que je pense de ce film et en meme temps, ce que je pense de Jobs. Exercice retors car, finalement, est-ce un film sur Steve Jobs ou sur Apple Computer?
Ce film relate une ascension, celle d’un homme et de sa société. Cela commence en 1977 par la naissance d’Apple Computer et fini en 2012 avec l’information "primordiale" qu’Apple est la société la plus riche du monde. Entre les deux, pas grand-chose sur l’ipad et l’Iphone, qui sont les deux produits phares d’Apple actuellement. La finalité de Steve Jobs apparait donc comme une réussite pécuniaire et non pas liée à une innovation technologique. D’ailleurs, Apple Computeur s’appelle aujourd’hui Apple tout court. Par ce changement on voit bien que l’innovation informatique des années 80 a été remplacée par celle des années 2000. L’ordinateur n’est plus un objet innovant, le walkman non plus et le téléphone portable ne l’est presque plus. Il ne reste donc que la tablette qui semble être la prochaine révolution de l’informatique. Mais cela le film n’en parle pas...
Vous allez me dire que je dérape et que je critique Apple. C’est inexact. La seule chose que je critique c’est l’idée que se font la plupart des gens à la fois d’Apple et de Steve Jobs. Et justement cette erreur de jugement est paradoxalement bien rendue dans le film.
Ainsi, ce film n’est qu’un survol de l’histoire d’Apple et de Jobs. Il ne contient aucune analyse en profondeur du personnage ni du contexte dans le quel il évolue. Il se contente de décrire l’ambiance de cette époque autour du personnage de Jobs.
Nous sommes donc face à un documentaire qui a pour vocation de témoigner d’un des événements les plus marquants de l’informatique des 40 dernières année : la naissance de la société Apple. Qu’on n’aime pas Steve Jobs ou les produits Apple, cette société à marqué et marque encore l’informatique personnelle. C’est indéniable. Par contre, d’un point de vue cinématographique, cette manière de procéder, et donc le film lui même, n’a pas grand intérêt. A ce titre, le jeu d’acteur est superficiel : On regarde vivre Jobs et on admire béatement sa détermination mais on ne sait jamais ce qu’il pense vraiment. Par contre, à chaque fois qu’il a une idée, tout le monde est au courant et les trompettes résonnent. Ashton Kutcher, qui joue Jobs, fait ce qu’il peu pour imiter physiquement Jobs mais ne joue pas un rôle. Mais qui a-t-il à jouer dans ce film ???
Que révèle donc finalement ce documentaire ? Que voit-on au delà du personnage égocentrique, narcissique et arrogant de Jobs ? Un visionnaire qui avait sa propre vision : révolutionner le monde technologique pour toucher les gens dans l’utilisation qu’ils pouvaient en faire. Le problème c’est que Jobs n’a jamais eu la capacité de se réaliser seul. Son génie est en fait d’avoir su s’entourer et utiliser les autres pour arriver à ses fins. En somme, c’était un leader avec les qualités nécessaires pour le poste : charismatique, déterminé, narcissique et colérique. Il ne laissait pas de marge de manœuvre à son entourage, ils les forçaient à aller là ou lui voulait. Il ne supportait pas non plus la hiérarchie car elle le freinait et l’empêchait d’être en haut de la pyramide, là ou tout se décide. Toute pression venue de plus haut que lui le forçait à quitter le terrain. Il renvoyait d’un coup de tête un collaborateur mais détestait être renvoyé lui-même.
Était-il l’innovateur que tout le monde présente ? Dans le sens où il voulait créer des objets qui n’existent pas encore oui, mais d’un point de vue technique il n’a rien inventé lui même. Par exemple, le concept d’icône a été créé cinq ans auparavant par Xerox, la souris a été inventée par Douglas Engelbart, le premier baladeur Mp3 est sorti 3 ans avant l’Ipod, etc… Par contre Jobs déteste qu’on lui prenne ce qu’il vend comme l’illustre le dialogue qu’il a avec Bill Gate à propos de Windows. Par contre, le film révèle que Steve Wozniak est le véritable inventeur d’Apple puisque c’est lui qui a créé de toutes pièces le premier ordinateur à la pomme. Par contre, étant donné sa discrétion, il est inconnu et donc non reconnu.
A sa décharge, Jobs a compris très vite l’importance de la publicité. Ainsi, pour vendre à des gens un produit qu’ils ne connaissent pas il faut créer un désir. Steve créait ce désir en mettant en scène ses produits et en vendant plus qu’un appareil, il se vendait lui-même et tout le monde qui va autour.
Le génie de Job est donc d'avoir su vendre plus qu’un produit mais tout un concept. Pour cela, il globalisait ses produits en les reliant à son ambition : changer le monde et ne pas le subir et, grâce à l’objet, pouvoir agir sur le monde.
Le bilan de ce film est donc, à la fois mitigé et réussi. Pour les fans de Jobs et de la marque à la pomme, ce film est une ode au "créateur". En ce sens ils y trouveront de quoi conforter leur opinion sur Steve et sur le rôle qu’il a joué dans l’histoire de la technologie. Pour les autres, ce film est un descriptif d’un homme et de sa vision, intéressante sur le principe mais trop superficielle pour convaincre même si finalement convaincre n’était pas le but.
En octobre 2011 j’avais écris un post sur la mort de Dennis Mc Alister Ritchie et sur celle de Jobs en déplorant le fait que tout le monde pleure le plus connu des deux en dépit de leur contribution respective à l’humanité. Il n’y aura jamais de film sur Mc Alister car il n’était pas un "successful entrepreneur". Donc, à quand un film sur Bill Gates ?